Interviews sur l'Indice Argos
Interview de Reiner Braun, professeur titulaire de la chaire Finance entrepreneuriale à la TUM School of Management de l’Université technique de Munich (Mars 2020)
« L’Argos Index® permet de mieux comprendre un segment de marché réputé opaque, peu couvert et à fort potentiel »
L’Argos Index® du 1er trimestre 2020 inclus seulement quelques semaines de crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, mais la tendance est claire : le recul des volumes de transactions depuis le 3ème trimestre 2019 exerce des pressions à la baisse sur les valorisations et donc sur les prix. Les investisseurs sont toujours présents, mais attendent que la visibilité s’améliore un peu pour investir. Dans cette interview, Reiner Braun, professeur titulaire de la chaire Finance entrepreneuriale à la TUM School of Management de l’Université technique de Munich, expose ses perspectives pour le segment non coté du mid-market en tenant compte des événements imprévus actuels alors que le Covid-19 contamine l’économie mondiale.
Quel est votre point de vue sur l’Argos Index® ?
L’Argos Index® permet de mieux comprendre le mid-market, un segment de marché réputé opaque et peu couvert par les analystes, qui représente pourtant une importante source de croissance économique et d’innovation. La plupart de nos analyses de marché se fondent sur les transactions les plus importantes, tant publiques que privées, généralement localisées aux États-Unis, ce qui ne confère pas une perspective réellement globale. Comme l’Argos Index® couvre deux à trois cycles économiques dans ses mesures de l’évolution des valorisations sur six mois glissants, les données sont fiables et nous apportent un réel éclairage sur les évolutions à long terme des marchés.
L’indice du 1er trimestre 2020 indique une tendance baissière. Quelle part de cette orientation attribuez-vous à la « correction des marchés » anticipée et quelle part attribuez-vous à la mise à l’arrêt de pans entiers de l’économie mondiale due à la pandémie ?
C’est la question clé. Nous n’avons pas vécu de situation comparable par le passé. Lors de la débâcle de Lehman Brothers en 2008, nous étions en présence d’une crise bancaire. Aujourd’hui, nous avons une crise, mais pas un changement des fondamentaux. Il s’agit d’une crise exogène. La baisse des valorisations pourrait ne pas être aussi marquée qu’attendu. De nombreux fonds d’investissement dotés de liquidités sont toujours là, en quête d’opérations, mais ils conservent leurs munitions pour le moment. L’ampleur de la baisse, que ce soit une correction ou plus – sera établie au cours des prochaines semaines.
Une de mes principales inquiétudes, qui est un thème qui devrait occuper le devant de la scène au cours du mois à venir, a trait aux possibles conséquences de la crise actuelle sur la solidarité de l’Union européenne (UE). Les avantages économiques de l’UE, même après le retrait du Royaume-Uni, sont un fait, et il est primordial qu’ils l’emportent sur les mouvements populistes que nous observons sur le continent et qui constituent un danger pour l’unité européenne et l’euro. Il me semble relativement peu probable que ces courants deviennent une menace sérieuse, mais si c’était le cas, cela provoquerait de fortes turbulences.
L’Argos Index® est-il un outil utile pour le marché allemand ?
Selon moi, le private equity en Europe, et notamment en Allemagne, n’a à ce jour pas exploité son plein potentiel. Cela vaut pour les deux composantes de l’équation : l’intérêt des investisseurs pour les fonds et la volonté des entreprises d’envisager les LBO comme une option de financement. Cependant, les PME en Europe pourraient se montrer de plus en plus ouvertes à l’idée de travailler avec un fonds d’investissement. Je continue d’identifier un énorme potentiel à l’avenir, car ces petites et moyennes entreprises bien positionnées sont l’épine dorsale des économies européenne et allemande. L’Argos Index® est donc un indicateur très utile pour le marché allemand car il cible, selon moi, le « sweet spot », le segment idéal, de l’industrie européenne.
Comment pourriez-vous utiliser l’Argos Index® dans vos cours de finance entrepreneuriale – par exemple, pour évaluer les niveaux de valorisation ?
L’Argos Index® présente des cas d’investissement attrayants en Europe. J’enseigne chaque année les fondamentaux du capital-investissement, et la plupart des cas de figure à ma disposition sont tirés du marché américain. L’Argos Index® fournit donc une perspective plus globale du secteur du private equity. Il apporte une valeur ajoutée, une perspective différente et plus large.
Quelles seront les répercussions de la crise du Covid-19 et des mesures de fermetures associées sur l’activité M&A ? Jusqu’où les PME peuvent-elles encore s’endetter pour s’engager dans des opérations de M&A ?
Si j’examine les rendements des opérations des crises précédentes, je constate que le retour sur investissement moyen est particulièrement attrayant. Certains acteurs peuvent visiblement acquérir des actifs bon marché. Cependant, la variabilité des retours dans ces périodes passées est également forte. Par conséquent, les investisseurs doivent être conscients du risque qu’ils prennent s’ils tentent de « surfer sur la vague » : nul ne sait quelle sera la situation à terme.
Du côté des acquéreurs sur les marchés M&A, je pense que ceux qui disposent de moyens financiers importants et d’une raison stratégique entreront en action dès que les incertitudes se dissiperont. Les autres pourraient se concentrer sur la revue et la gestion de leur portefeuille avant de redevenir actifs sur le marché.
En ce qui concerne l’effet de levier, nous avions vu récemment des transactions de capital-investissement atteindre des niveaux supérieurs à 7 x l’EBITDA. Cela implique une charge de la dette significative, et j’espère qu’il reste une marge de manœuvre suffisante pour les sociétés laissées dans les conditions actuelles. Cependant, d’après mes propres travaux de recherche, les sociétés mid-market présentent généralement moins de dette que les grandes entreprises, ce qui peut leur conférer une flexibilité financière pour intervenir sur le marché M&A si elles identifient une opportunité. Mais là encore, je suis d’avis qu’elles doivent faire preuve de patience et ne pas se précipiter sur des opérations de M&A au seul motif que le prix est attractif. Aujourd’hui, même dans un contexte de prix bas, il est sage d’être patient plutôt qu’offensif car l’incertitude est grande. Il est opportun de s’abstenir de prendre des décisions engageantes à long terme en l’absence de raisons solides et convaincantes.
Jusqu’où estimez-vous que les valorisations pourraient baisser dans ce secteur ? Pourraient-elles passer sous les niveaux de 2008-2009 ?
Je le répète, nous sommes face à un environnement incertain, mais j’estime qu’il y a des chances que les prix ne tombent pas sous les niveaux observés sur la période 2008-2009.
Selon moi, l’on peut envisager deux scénarios à ce stade. Le premier serait celui d’une poursuite de la crise sanitaire avec une deuxième vague d’épidémie de Covid-19 et de nouvelles mesures de confinement étendues. Ce scénario engendrerait de très grandes difficultés pour les économies du monde entier et, dès lors, il serait fort probable que l’on descende sous les niveaux de 2008-2009. Le second scénario consiste en cette correction suivie d’un rattrapage dans un contexte de reprise en forme de « U ». Nul doute que ce scénario est préférable.
Qu’indique l’Argos Index® au sujet de l’avenir des sociétés mid-market en Europe, lesquelles constituent généralement un moteur de la croissance économique ?
J’aimerais que le prochain Argos Index® fasse ressortir des niveaux de valorisation raisonnables pour ce secteur, avec des transactions moins nombreuses mais à caractère plus stratégique. Cela signalerait que le mid-market européen recèle des actifs de grande qualité qui se négocient à des prix raisonnables même en période de détérioration du sentiment de marché.
Pour une perspective différente, on peut réfléchir aux entreprises ou secteurs qui pourraient bénéficier de notre expérience de cette pandémie. J’ai la conviction que nous assisterons à des opérations intéressantes dans le secteur des sciences de la vie dans un proche avenir. De surcroît, nous devons envisager les chaînes d’approvisionnement sous un nouvel angle. On ne peut plus se contenter de penser qu’il est moins cher de produire en Chine et qu’il faut seulement deux semaines pour récupérer les produits. Aujourd’hui, des aspects tels que la résilience des chaînes d’approvisionnement gagnent en importance, et la réorganisation de ces chaînes pourrait présenter un intérêt économique. Je pense qu’un grand nombre de sociétés mid-market européennes sont bien positionnées pour saisir cette opportunité.
Interview d’Éric de Montgolfier, CEO d’Invest Europe (Dec. 2019)
« L’Argos Index® est une référence importante de mesure de valorisation des entreprises non cotées en Europe, basée sur des données très fiables»
Quel regard portez-vous sur l’Argos Index, fort de votre expérience dans différents fonds d’investissement, et en tant que CEO d’Invest Europe ?
Je suis admiratif de la longévité de l’Argos Index® qui existe déjà depuis quinze ans. Dans le cadre de mes anciennes fonctions de responsable de fonds d’investissement, j’ai pris l’habitude de le consulter systématiquement dès sa publication et je m’en suis servi à plusieurs reprises dans des réunions avec des investisseurs. C’est un outil de marché qui rend un vrai service, et une référence importante de mesure de la valorisation des entreprises non cotées du mid-market en Europe, basée sur des données très fiables. La publication trimestrielle de l’Argos Index® donne une évolution des prix et une explication rationnelle qui définissent une tendance, ce qui est essentiel.
Quelles sont les différences notables entre l’Argos Index® et les données produites par Invest Europe ?
L’information remontée par l’Argos Index® est différente de la nôtre : nous nous intéressons à l’investissement et l’Index à la valorisation. Nous sommes capables d’aller très loin dans le détail du mapping des investissements et de dire de manière très précise d’où vient l’argent, où il va être investi et à quel moment. En revanche, nous n’avons pas développé de méthodologie comme Argos Wityu et Epsilon pour savoir qui a acheté, ni à quel prix. L’échantillon est également différent. L’Argos Index® se focalise sur la zone euro alors que nous prenons en compte l’Europe au sens géographique. C’est pour cette raison que les données de l’Argos Index® sont complémentaires des nôtres.
Quelle est la spécificité d’Invest Europe et de quelle manière l’Argos Index® peut-il venir complémenter les autres études de l’association ?
Invest Europe produit des données depuis de nombreuses années dans le domaine du fundraising, de l’investissement et du désinvestissement. Nous avons créé il y a quelques années une coopérative européenne de données, « EDC » (European Data Cooperative), plateforme de collecte de données avec toutes les associations européennes de capital-investissement et de capital-risque. L’utilisation de cette plateforme unique avec une méthodologie standardisée permet d’obtenir des statistiques paneuropéennes semestrielles et annuelles cohérentes et comparables dans toute la région. Cela nous permet de mieux informer nos membres, gestionnaires de fonds (GP) ou investisseurs (LP), les décideurs politiques, les régulateurs et les autres parties prenantes.
Nous disposons d’une équipe de 15 personnes qui collecte cette multitude de données avant de traiter l’information. Il s’agit d’un travail colossal, tout comme celui fourni par Argos Wityu et Epsilon pour établir l’Index.
En résumé, nos méthodologies partent du même constat : la donnée consolidée a de la valeur pour le marché.